jeudi 12 août 2010
Il n’a jamais fait de slam
Une chronique de André Marceau
Paul Bélanger
Paul Bélanger publie, depuis 1982, des textes et des poèmes dans des revues au Québec et à l’étranger. Certains de ses poèmes ont paru dans des anthologies, d’autres ont été traduits en espagnol, en portugais et en anglais. Il a publié sept titres aux Éditions du Noroît , dont Origines des méridiens (2005) qui a été finaliste aux Prix Saint Sulpice de la revue Estuaire, Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec, ainsi qu’au Prix du Gouverneur Général, et à l’hiver 2009, Répit.
À l’instar des autres poète invités à la chronique « Il/Elle n’a jamais fait de slam », j’ai demandé à Paul Bélanger de rédiger un court texte pour nous expliquer pourquoi il n’a jamais participé à un slam de poésie.
Pourquoi je ne fais pas de slam de poésie ?
Paul Bélanger
Je ne voudrais froisser personne en disant que le SLAM ne m’a jamais rien dit, c’est ainsi.
Je ne conteste à personne, pour autant, la possibilité de se « lancer » sur une scène pour des joutes verbales.
À mon sens, la pratique du slam, si elle relève d’une possibilité du langage, est assez contraire à ma conception du poème. C’est en arrière du poème. Un talent peut sans doute s’y révéler, qui n’est qu’un départ et pas encore un passage. Le poème étant à la frontière de l’image et de la pensée.
Que demande-t-on au poème, si ce n’est cette exigeante transformation du matériau commun. Que demande-t-on au poète, sinon d’aller au-delà de l’exercice virtuose, dans une responsabilité de sa liberté (liberté pour l’autre) qui est conséquente à son ouverture.
Ainsi, au-delà de la performance théâtrale, rien n’est encore engagé, tant il est vrai qu’écrire c’est recommencer, l’expression immédiate n’étant qu’un point de départ.
C’est là un malentendu qui perdure. Dans mes poèmes, la voix n’appelle pas tant l’oralité, dans le sens où on l’entend souvent, mais l’interpellation et l’attention conduisant à des métamorphoses qui ouvrent l’avenir à de nouveaux usages du langage.
Ainsi donc :
Sur la dure connivence d’une
Langue sourde qui ne se donne pas
Aligne les signes secrets et
Monte un alliage alchimique
Trois poèmes
extraits du recueil Répit,
Paul Bélanger, éditions du Noroît / Le taillis pré, 2009.
46
le crayon ne roulera pas jusqu’à la marge
de la table je l’aurai rattrapé pour suivre
mon histoire histoire d’occuper le jour
de comprendre l’arrière des façades
tout homme n’a devant lui
que son reflet à contempler
sans qu’il soit possible d’éviter
de se voir tel qu’il est sans projet
et sans futur agité simplement par l’instant
du mouvement immédiat d’une rencontre
dont il faut reprendre à l’infini l’amorce
d’un premier pas hésitant vers un être
je ne fais que tutoyer cette table
comme une frontière à franchir
sachant qu’une vie ne suffit
pour ce pont de papier
47
de quelle lumière voulais-je nourrir la terre
si je suis dépourvu de clarté à quel désir
répondrais-je qu’elle n’ait assouvi
d’un autre nom et d’ailleurs cela importe-t-il
pourvu que la descente se poursuive
parmi les plis et les équations qui retournent
les objets en révélant le cœur de mon regard
tous ces cahiers ces mots cette magie
ces métamorphoses quand je saute
au risque de me rompre la vie
ne m’a pas épargné penses-tu
je vis dans ce logement minuscule
comme s’il était un vaisseau
et tout se joue sur cette image
de la chute d’un arbre au milieu du salon
ne manque plus au vaisseau qu’à passer
outre et s’éloigner
49
je m’enfonce jusqu’à la mort
d’erreur en erreur et pour un si maigre pain
une table de neige si vraie que je sens
sur ma nuque un souffle froid
sans autre raison que tracer
le fil d’une attention extrême
peu à peu le sofa rassemble les filets
du bois qui blessent les pieds nus
rien n’est à ce point réduit pour l’errance
à l’infini des jours — l’ordalie des sens
remémorés par les mots tendus
vers le point de cassure sans que casse
la flèche qui pointe devant et m’aspire
dans son sillage — perle bleue
d’un mouvement en transit — vie d’un seul
authentiquement perdu à ce monde
et je voudrais durer encore quelques minutes
pour que ne cesse jamais ce vent
qui veut rôtir l’âme dans l’air
une vie contre un seul instant
l’instant pur d’un saut
Extraits du recueil Répit, Éditions du Noroît / Le taillis pré, 2009.
Veuillez noter : La chronique « Il/elle n’a jamais fait de slam » vise à faire connaître des poètes et leur poésie qui, bien qu’écrite pour le livre, peut susciter l’intérêt des amis du SLAM. Puisque le blogue est d’abord et avant tout écrit (et non sonore, parlé ou vidéo), la publication de quelques poèmes s’avère appropriée.
Pour lire les chroniques précédentes, cliquez.
Paul Bélanger
Paul Bélanger publie, depuis 1982, des textes et des poèmes dans des revues au Québec et à l’étranger. Certains de ses poèmes ont paru dans des anthologies, d’autres ont été traduits en espagnol, en portugais et en anglais. Il a publié sept titres aux Éditions du Noroît , dont Origines des méridiens (2005) qui a été finaliste aux Prix Saint Sulpice de la revue Estuaire, Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec, ainsi qu’au Prix du Gouverneur Général, et à l’hiver 2009, Répit.
À l’instar des autres poète invités à la chronique « Il/Elle n’a jamais fait de slam », j’ai demandé à Paul Bélanger de rédiger un court texte pour nous expliquer pourquoi il n’a jamais participé à un slam de poésie.
Pourquoi je ne fais pas de slam de poésie ?
Paul Bélanger
Je ne voudrais froisser personne en disant que le SLAM ne m’a jamais rien dit, c’est ainsi.
Je ne conteste à personne, pour autant, la possibilité de se « lancer » sur une scène pour des joutes verbales.
À mon sens, la pratique du slam, si elle relève d’une possibilité du langage, est assez contraire à ma conception du poème. C’est en arrière du poème. Un talent peut sans doute s’y révéler, qui n’est qu’un départ et pas encore un passage. Le poème étant à la frontière de l’image et de la pensée.
Que demande-t-on au poème, si ce n’est cette exigeante transformation du matériau commun. Que demande-t-on au poète, sinon d’aller au-delà de l’exercice virtuose, dans une responsabilité de sa liberté (liberté pour l’autre) qui est conséquente à son ouverture.
Ainsi, au-delà de la performance théâtrale, rien n’est encore engagé, tant il est vrai qu’écrire c’est recommencer, l’expression immédiate n’étant qu’un point de départ.
C’est là un malentendu qui perdure. Dans mes poèmes, la voix n’appelle pas tant l’oralité, dans le sens où on l’entend souvent, mais l’interpellation et l’attention conduisant à des métamorphoses qui ouvrent l’avenir à de nouveaux usages du langage.
Ainsi donc :
Sur la dure connivence d’une
Langue sourde qui ne se donne pas
Aligne les signes secrets et
Monte un alliage alchimique
Trois poèmes
extraits du recueil Répit,
Paul Bélanger, éditions du Noroît / Le taillis pré, 2009.
46
le crayon ne roulera pas jusqu’à la marge
de la table je l’aurai rattrapé pour suivre
mon histoire histoire d’occuper le jour
de comprendre l’arrière des façades
tout homme n’a devant lui
que son reflet à contempler
sans qu’il soit possible d’éviter
de se voir tel qu’il est sans projet
et sans futur agité simplement par l’instant
du mouvement immédiat d’une rencontre
dont il faut reprendre à l’infini l’amorce
d’un premier pas hésitant vers un être
je ne fais que tutoyer cette table
comme une frontière à franchir
sachant qu’une vie ne suffit
pour ce pont de papier
47
de quelle lumière voulais-je nourrir la terre
si je suis dépourvu de clarté à quel désir
répondrais-je qu’elle n’ait assouvi
d’un autre nom et d’ailleurs cela importe-t-il
pourvu que la descente se poursuive
parmi les plis et les équations qui retournent
les objets en révélant le cœur de mon regard
tous ces cahiers ces mots cette magie
ces métamorphoses quand je saute
au risque de me rompre la vie
ne m’a pas épargné penses-tu
je vis dans ce logement minuscule
comme s’il était un vaisseau
et tout se joue sur cette image
de la chute d’un arbre au milieu du salon
ne manque plus au vaisseau qu’à passer
outre et s’éloigner
49
je m’enfonce jusqu’à la mort
d’erreur en erreur et pour un si maigre pain
une table de neige si vraie que je sens
sur ma nuque un souffle froid
sans autre raison que tracer
le fil d’une attention extrême
peu à peu le sofa rassemble les filets
du bois qui blessent les pieds nus
rien n’est à ce point réduit pour l’errance
à l’infini des jours — l’ordalie des sens
remémorés par les mots tendus
vers le point de cassure sans que casse
la flèche qui pointe devant et m’aspire
dans son sillage — perle bleue
d’un mouvement en transit — vie d’un seul
authentiquement perdu à ce monde
et je voudrais durer encore quelques minutes
pour que ne cesse jamais ce vent
qui veut rôtir l’âme dans l’air
une vie contre un seul instant
l’instant pur d’un saut
Extraits du recueil Répit, Éditions du Noroît / Le taillis pré, 2009.
Veuillez noter : La chronique « Il/elle n’a jamais fait de slam » vise à faire connaître des poètes et leur poésie qui, bien qu’écrite pour le livre, peut susciter l’intérêt des amis du SLAM. Puisque le blogue est d’abord et avant tout écrit (et non sonore, parlé ou vidéo), la publication de quelques poèmes s’avère appropriée.
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