jeudi 20 juin 2013

Elle n'a jamais fait de slam

Une chronique de Geneviève Lévesque
d'après une idée originale de André Marceau

La chronique « Il/Elle n’a jamais fait de slam » vise à faire connaître des poètes et leur poésie qui, bien qu’écrite pour le livre, peut susciter l’intérêt des amis du slam. Puisque le blogue est d’abord et avant tout écrit (et non sonore, parlé ou vidéo), la publication de quelques poèmes s’avère appropriée.

Anne Peyrouse

Docteure en littérature, enseignante en création littéraire à l'Université Laval au département des Lettres, directrice littéraire (poésie) aux éditions Cornac, Anne Peyrouse a publié cinq recueils de poèmes et deux recueils de nouvelles qui se sont mérité plusieurs prix. Elle a également fait paraître deux anthologies sur le slam : Slam ma muse 1 et Slam ma muse 2 (celle-ci se consacre à la voix des slameuses du Québec), également une anthologie sur la poésie amoureuse et une autre sur la poésie humoristique. Passagers de la tourmente est son dernier livre publié. Après l’écriture d’un recueil de poèmes inspiré par la danse : Grand jeté d’encre, elle écrit actuellement un texte poétique sur l’itinérance.

Dernier recueil publié : Sables d'enfance, Éditions Cornac, Québec, 2008. 

Publications récentes :
Passagers de la tourmente (nouvelles), Éditions Hamac, Québec, 2013.
Slam ma muse 2 (anthologie), Éditions Cornac, Québec, 2013.

Site de l’auteure : http://www.annepeyrouse.com


À l’instar des autres poètes invités à la chronique « Il/Elle n’a jamais fait de slam », Anne Peyrouse a rédigé un court texte pour nous expliquer pourquoi elle n’a jamais participé à un slam de poésie.

Je n’ai jamais fait de slam parce que : 

Je n’ai jamais fait de slam parce que le slam est une joute poétique sur scène et je suis plutôt mal à l’aise dans ce genre de situation. Je n’ai pas envie de me sentir trembler à l’extrême. Alors je reste admirative, attentive devant ceux et celles qui se lancent dans cette joute. Ils sont et elles sont pour moi des troubadours et des trobairitz que j’admire.

Ils/elles font lever la poésie, ils/elles la donnent dans une grande force de diction et de caractère. Ils/elles l’ouvrent. Ils/elles la mettent sur scène et nous montrent qu’il n’y a pas que la chanson qui la porte bien. Je suis pour le slam, même si je ressens parfois ses dangers et certaines de ses facilités. C’est une porte poétique où se reflètent bien des possibles. Et en tant que créatrice, je savoure les possibles.

Merci à tous et à toutes les slameurs et les slameuses!


Quelques extraits de Grand jeté d’encre
recueil inédit




Comme si les danseurs voulaient prendre la parole et théâtraliser le vertige des âmes, comme si le vent portait tant d’effluves et de cris, comme si le regard humain refusait sa prison de fer, s’impose une décalcomanie de l’être dansant et du spectateur assis.

Il existe une palpitation, puis un survoltage épileptique où aucun mot n’est tu. L’écriture danse et pas un désir n’est retenu. Aucune amputation des membres ; tout bouge.

Un séisme nous emporte.




Un danseur se déshabille et s’écartèle comme un édifice sans pudeur.

Je le regarde encore et encore, encore et encore, pour le trouver et le ressentir — ses membres solides fiertés enjambent mes morts, ils ont la beauté inflexible du temps. Ils brisent les sédiments qui recouvrent les vieilles villes et les voyages jamais réalisés.

Ils mènent à d’autres villes et Orient Express, je pars alors à la pointe des orteils ou sur l’arrondi des épaules ou sur les paupières fermées, ouvertes, luisantes, réfléchissant la chorégraphie. Je découvre d’autres villes et planètes au beau milieu du ventre plat. Je pars sur le dragon ou l’aigle de la poitrine tatouée et sous les douleurs d’une droiture du dos qui ne demande qu’à éclater.

Avec toi, danseur, je rencontre d’autres lieux à l’ombre des hanches et des fesses. L’intimité est suave.

L’homme dénude son torse.




Danseur, tu repousses les limites du vide. Il n’y a plus de retenue quand ton cœur bat sur le mien. S’exécute alors, dans les coins et recoins, dans les rues et ruelles du monde, hors des urnes et sur scène, l’alphabet du flexible. J’écris le grand jeté du bassin et du torse. Naissance...

Danseur, tu vas puiser au sol l’amplitude d’un courant d’air. Tu joues sur tant d’horizons vacants — à connaître, à habiter, à investir. Comment rejoindre l’ouverture ? Tu portes l’humain et l’humain te soutient ; tant de mouvements brusques et d’efforts échangés réveillent nos os, nos saisons et les grands héros mythiques. Tant de gens en si peu d’espace, tant de mondes en si peu de temps, tant de gestes en si peu de mots et aucune guerre et aucune haine et aucune césure d’humanité. Tant de miroirs rappellent la tenue de la main et du buste à nous-mêmes, à nos enfants et à nos reflets de personnages. Liberté...




Danseur, la vie te mène à éparpiller nos traces.




- - - Extraits de Grand jeté d’encre, recueil inédit.
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