vendredi 28 septembre 2012

Elle n'a jamais fait de slam

Une chronique de André Marceau
avec la collaboration de Richard Sage et de Geneviève Lévesque

La chronique « Il/elle n’a jamais fait de slam » vise à faire connaître des poètes et leur poésie qui, bien qu’écrite pour le livre, peut susciter l’intérêt des amis du slam. Puisque le blogue est d’abord et avant tout écrit (et non sonore, parlé ou vidéo), la publication de quelques poèmes s’avère appropriée. 

Marie-Hélène Montpetit

Marie-Hélène Montpetit a publié deux recueils de poèmes, 40 singes-rubis et  
Dans le tabou des arbres aux éditions Triptyque. Elle a participé à de nombreuses lectures publiques et publié dans les revues Estuaire, Exit et Moebius. Elle a chanté, écrit et composé au sein du groupe de chanson-rock Marie et ses 4 maris et du groupe de création L’Hôtel du bout de la terre. Elle était de la tournée du spectacle de poésie Amériquoises conçu par Christine Germain.
- Photo : Marie-Hélène Montpetit aux Francofolies 2010 (photo par Marie-Charlotte Aubin).

Dernier recueil publié : Dans le tabou des arbres, éditions Triptyque, 2007, 54 pages.

À l’instar des autres poètes invités à la chronique « Il/Elle n’a jamais fait de slam », Marie-Hélène Montpetit a rédigé un court texte pour nous expliquer pourquoi elle n’a jamais participé à un slam de poésie.

Je n’ai jamais fait de slam parce que : 

Quand j’avais dix-huit ans, le slam n’existait pas. Robert Gravel venait de fonder la ligue nationale d’improvisation, la LNI. Ça marchait fort. On reprenait la formule, on créait des équipes, on jouait dans les bars au sein d’une ligue de quartier, on s’exprimait comme ça. Ensuite, de mon côté, j’ai fait de la chanson. Je composais sans instrument, à partir des mots; il en fallait beaucoup pour garder le rythme, empêcher que la mélodie ne tombe. Un animateur m’avait dit : On dirait du raï. J’ai pensé : oh, quel beau compliment! Un autre me disait : tes paroles déboulent, on dirait du rap. On jouait aussi dans les bars, on participait à des concours, on faisait beaucoup de spectacles, c’était fougueux! Mais un jour, j’en ai eu marre, je n’ai plus eu envie ni de scène, ni de podiums, ni de compromis ni d’être soumise, en direct, chaque soir, avec la peur au ventre, à l’appréciation du public, d’un jury, de critiques. Je me suis envolée en fumée. C’est pourquoi, je suis partie toute seule, un jour, de mon côté, avec mes feuilles, mon crayon mine. Je goûtais au silence, à la solitude, j’appréciais de n’avoir de comptes à rendre à personne, de vivre et d’écrire à mon rythme, de ne plus avoir à me mettre en scène, à plaire, jusqu’à l’épuisement, avec l’énergie du désespoir! Je pouvais prendre mon temps, revoir mes textes, plonger, explorer, ressentir, travailler à la structure du poème, vivre, «inventer», jouer, loin des exigences des uns et des autres, de leur regard.

Si j’étais née plus tard, j’aurais peut-être fait du slam, dont les règles, me font, peut-être à tort, penser à celles qui prévalent dans les concours de chanson.
Plus tard, j’ai aimé que le livre ait une vie propre, que je n’aie pas à le défendre bec et ongle, sur scène, pour qu’il existe; aimé qu’il vive sa vie sans moi.
Pourtant, j’adore la scène,
j’aime lire à voix haute, seule
ou accompagnée d’un ou d’une poète instrumentiste qui improvise à mes côtés.
Nous accomplissons alors parfois une sorte de vol plané, périlleux, lumineux,
qui nous met en joie
mais je n’ai plus envie d’être liée à un groupe
ni d’être évaluée par un jury après une lecture.
J’ai envie d’aller et de venir, à pas légers
et de sortir de scène comme j’y suis entrée,
émue d’avoir confié mon secret à l’oreille de quelqu’un.


Quelques poèmes 
extraits de 40 singes-rubis et de  
Dans le tabou des arbres
par Marie-Hélène Montpetit
Éditions Triptyque, 2002 et 2007



Le matin crie Heïdi dans le chalet du lit

Mon corps est un sofa
dont les coussins bayent aux corneilles

Dans la corbeille du sommeil
j’ai lavé cette nuit du linge sale de famille

Le matin en retour de labour
s’étire
à travers les sillons de ma carte du ciel

(40 singes-rubis, p. 17)



Je suis ta sœur par les mains
Je suis à toi par la taille
Je verse à l’abandon dans ta bouche
                         ma fièvre
L’été fait le lézard sur le sommier vapeur

Dans le moule calcaire de tes os
je rêve
et l’océan dévore de partout nos plaisances

(40 singes-rubis, p. 28)




Dans l’air enfumé de la pièce
je me rêve Lady
malgré l’oiseau avarié qui dort sous ma tignasse
et ces osselets qui dépassent de sous ma jupe
baby
quand je me couche par terre sur le linoléum
les yeux écarquillés
dans ma corolle mince de hanneton
usée à l’encolure

(Dans le tabou des arbres, p. 46)



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Poèmes extraits de 40 singes-rubis, éditions Triptyque, 2002, 54 pages
et de Dans le tabou des arbres, éditions Triptyque, 2007, 54 pages
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