mercredi 20 février 2013

Il n'a jamais fait de slam

Une chronique de Geneviève Lévesque
d'après une idée originale de André Marceau

La chronique « Il/elle n’a jamais fait de slam » vise à faire connaître des poètes et leur poésie qui, bien qu’écrite pour le livre, peut susciter l’intérêt des amis du slam. Puisque le blogue est d’abord et avant tout écrit (et non sonore, parlé ou vidéo), la publication de quelques poèmes s’avère appropriée.

Jean-François Caron

Jean-François Caron est romancier (Rose Brouillard, le film et Nos échoueries) et poète (Des champs de mandragores et Vers-hurlements et barreaux de lit). En fiction comme en poésie, sa démarche s’inspire de l’oralité, du souffle, du rythme, des accents et des expressions.

Détenteur d'une maîtrise en études littéraires de l'Université du Québec à Chicoutimi (La deuxième personne en narration : identité et altérité), il a été responsable des communications et du développement des publics pour le Théâtre La Rubrique. Il est aussi rédacteur indépendant depuis 2005, ayant collaboré avec différentes publications traitant de culture – Voir, dont il a été rédacteur en chef de la section régionale Saguenay/Alma jusqu'en 2010, mais aussi Vie des arts et Le Sabord.

Aujourd'hui, il est rédacteur en chef de L'Unique, journal de l'Union des écrivaines et écrivains du Québec, et responsable de dossier pour la revue Lettres québécoises. Il contribue aussi à un blogue de correspondances littéraires (lescorrespondants.wordpress.com) et un carnet d'auteur (jeanfrancoiscaron.wordpress.com).

Dernier recueil publié : Vers-hurlements et barreaux de lit, éditions Trois-Pistoles, 2010, 95 pages, Prix Poésie du Salon du livre du Saguenay – Lac-Saint-Jean en 2011.

À l’instar des autres poètes invités à la chronique « Il/Elle n’a jamais fait de slam », Jean-François Caron a rédigé un court texte pour nous expliquer pourquoi il n’a jamais participé à un slam de poésie.

Je n’ai jamais fait de slam parce que : 

je n’ai jamais fait de slam parce que… 
j’ai : toutes ces limites dans la tête
toutes ces limites et
toutes ces batailles et
toute cette mémoire qui faille

qui maille à l’endroit, se défait de l’envers
parce que j’ai : cette mémoire grise
qui ne prend son air d’aucune manière
qui ne prend l’air d’aucune couleur
qui brise le rail à suivre
c’est bête
je voudrais : suivre
(parfois)
je voudrais : arriver
bottes à cap pour le slam et poings qui frappent
sur les scènes de vos combats,
faire du bruit
faire de grands slams saisissants
que le texte frappe le bruit qu’il porte
mais j’ai le papier qui colle
aux doigts
le papier qui colle aux doigts
suis perpétuellement la bête affolée qui se frappe
la tête contre les murs blancs
de sa cellule de papier

c’est que : j’écris déjà sur le souffle
inspirant l’erre d’aller
j’écris : à voix haute et à tue-tête
dans l’écran des murmures opaques
j’écris : des envolées, des enveloppées
de papier gommant qui me colle au doigt
je suis : mouche grasse qui tourne
son vol autour des lumières
mais mouche grasse, je suis
qui reviens toujours
me coller au papier
je suis : mémoire louche, qui manque d’air
qui préfère lire, jouer, plier, échapper
le papier

le texte frappé d’encre qui porte
mes bruits de bête aux flancs gris
je suis : bête aux flancs de papier gris

je ne sais pas
surtout
je n’ai jamais fait de slam parce que…

je ne sais pas faire de slam


Poème extrait de Vers-hurlements et barreaux de lit
par Jean-François Caron 
Éditions Trois-Pistoles, 2010


quand t’es venu déjà rose
dégât de fil de prose
mon fils entre ses cuisses     toi mon frisé
mon brisé mon effort mon déformé
mon fils entre ses cuisses

puis

dans une bière de plexi déjà héros rouge momifié
petit chapeau de laine et toutes les mesures prises
premières douleurs et crise
et lumière vive
flash


puis mon branché mon fils mon enfilé mon fort
mon emmêlé gros loup parmi les meurtris
tes hurlements d’intouché quand
parcelle de moi percée tu me laisses sans voix
je suis hurlementeur de sourires devant les connaissances
ça va bien tout va bien ou je me tais

c’est ainsi qu’on m’a appris à me tenir debout devant le monde
ça va bien tout va bien ou je me tais
je suis bien de ce pays
et je t’enseigne à en être

puis moi ton affolé de père ton père dépareillé
ton mou ton oreiller
ton hey ton t’sais ton ouais ton oui-oui
ton qui-veut-pas-pleurer

puis sans relâche mon corps penché sur ton lit fond de tiroir ton lit fouillis de jeux inutiles

puis qu’on se berce qu’on se berce qu’on se berce
puis qu’on se dresse qu’on se dresse qu’on se dresse

si je me lève un jour ce sera un peu sur tes pieds

ensemble debout      dans le bip
des machines auxquelles tu es branché
ensemble debout      qu’on se tienne debout
qu’on se tienne debout – tous les deux sur tes pieds

puis alors mon emmêlé
« attends un peu – papa va essayer de te sortir de là »

mes gros doigts qui s’enfargent
le sourire de l’infirmière qui vient d’entrer
c’est madame France
ou l’autre madame France
ou madame Lucie comme ma mère ta grand-mère c’est drôle ça
madame Lucie

« attendez le papa je vais vous aider »
qu’elle dit

dans ton lit à barreaux
entre mes vers et tes hurlements
mon cœur brisé bien plus que le tien
ton père débris
c’est moi ça
les ruines et la poussière et la cendre et les débris
ton père débris qui se berce à côté
dans les ruines de sa tête sans drapeau
c’est moi ton hey ton t’sais ton ouais ton oui-oui
ton ça-va-aller
                       mais ton qui-veut-pas-pleurer

(Vers-hurlements et barreaux de lit, p. 21 à 25)


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Poème extrait de Vers-hurlements et barreaux de lit, éditions Trois-Pistoles, 2010.

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